Etudes approfondies des processus à l’émission
Depuis sa création le LISA est l’un des rares laboratoires à effectuer des mesures directes permettant de quantifier les flux d’érosion et les flux d’émission des aérosols en zone in situ et en conditions naturelles (i.e., sans utiliser une soufflerie de terrain). L’ANR WIND-O-V (WIND erOsion in presence of sparse Vegetation – PI S. Dupont INRAE) dont le LISA pilotait 3 des 5 work packages a été l’occasion de déployer dans le sud tunisien un ambitieux dispositif (Figure 1) associant pour la première fois les deux seules méthodes expérimentales permettant de mesurer les flux d’émission d’aérosols désertiques (i.e., flux vertical) : la méthode des gradients opérée par le LISA et la méthode d’Eddy covariance opérée par l’INRAE (Figure 1). Dans les deux cas, ces mesures sont résolues par classe de taille.
Figure 1 - Dispositif expérimental de mesure des flux d’érosion et d’émission au cours de la campagne de mesure 2017 de l’ANR WIND-O-V.
L’intercomparaison de ces méthodes a montré que, sous réserve de considérer les mêmes classes de particules, les flux calculés sont similaires (Dupont et al. 2021). Cependant la méthode des gradients a pour elle l’avantage de permettre également de prélever les particules et donc de caractériser la composition des flux par classe de taille.
Les premiers résultats (thèse de B. Khalfallah, Khalfallah et al. 2020, Alfaro et al. 2022) ont confirmé que la distribution granulométrique des poussières variait bien selon les conditions à l’émission, ce qui avait été remis en question dans plusieurs publications. Plus précisément, plus la couche limite de surface est instable, plus le spectre granulométrique des poussières émises est enrichi en fines particules. Ce rôle de la stabilité n’avait jamais été mis en évidence jusque-là et a suscité une forte émulation dans la communauté concernée. Les processus en jeu pour expliquer ces observations sont toujours débattus.
Revisiter les processus
Ces mesures de WIND-O-V ont bien mis en évidence l’importance de travailler à des fréquences de mesures qui permettent de décrire la physique des processus d’érosion et d’émission. Leur exploitation se poursuit selon plusieurs pistes de recherches qui devraient toutes amener à revisiter les processus qui interviennent dans le continuum sol/saltation/suspension. Il s’agit notamment de travailler sur la paramétrisation du seuil d’érosion en prenant en compte les effets de la non stationnarité du vent et de l’intermittence de l’érosion. Dans cet objectif un projet de recherche LEFE/EC2CO – REPAREE - a permis d’organiser une campagne de mesure (2023) qui s’est déroulée sur le même site que WIND-O-V avec de nouveaux dispositifs instrumentaux.
Un autre processus clé n’a pas encore été pris en compte jusqu’à présent dans les modèles d’érosion éolienne, souvent faute de données disponibles pour le représenter : les forces électriques qui sont de nature à modifier fortement le bilan des forces s’exerçant sur un grain tant à la surface que dans les premiers mètres au-dessus du sol. Des champs électriques de plus de 100 KV liés en grande partie à des effets tribo-électriques ont ainsi été mesurés récemment dans la couche de saltation. Nous avons aujourd’hui la possibilité d’étudier ces phénomènes et ainsi d’envisager de les paramétrer. Une thèse va débuter en 2024 sur ce sujet et une nouvelle campagne de mesure est prévu (2026) sur le même site que WIND-O-V et REPAREE dans le cadre d’un projet LEFE – ELSE - qui bénéficiera ainsi de tous les acquis des campagnes précédentes.
Parallèlement à ces nouveaux projets, les données de WIND-O-V continuent d’être exploitées dans le cadre de la thèse de R. Marecar qui vise à étudier le fractionnement granulométrique et chimique entre le sol et les poussières émises à la source (avant d’être transportées). Ce fractionnement résulte de processus intervenant dès l’éjection des particules de la surface et se poursuivant au sein de la couche de saltation et lors du transfert dans les premiers mètres de la couche de mélange. En effet, il est apparu que la distribution granulométrique des particules se déplaçant horizontalement à la surface varie de façon identique au flux vertical. Là encore il s’agit d’un résultat totalement nouveau sur lequel nous travaillons pour en identifier les déterminants. Le fractionnement chimique (Figure 2) est induit par le tri granulométrique qui va impacter la distribution en taille des poussières. Ces deux points sont clé pour pouvoir réellement envisager de représenter correctement les impacts de ces poussières dans les modèles.
Figure 2. Evolution du rapport Ca/Al dans le sol, la couche de saltation et les poussières (Wind-O-V)